- NUMEN
- NUMENNUMENLa formation du mot numen est claire. Il appartient à un type de dérivés qui permettait de former, à partir d’un verbe, un nom abstrait. Le verbe dont dérive numen signifiait: «manifester sa volonté par un signe de tête». L’emploi n’est pas moins clair: le mot est toujours appliqué à la manifestation d’une volonté divine et exprime la puissance propre d’un dieu. Tandis que le signum désigne la manifestation sensible par laquelle cette volonté se fait connaître (vol des oiseaux, prodiges, etc.), le numen en qualifie abstraitement l’exercice tout-puissant.On a voulu en tirer argument pour supposer des croyances animistes aux origines de la religion romaine: les numina seraient des puissances naturelles sans fonction divine définie et ne constituant pas un système représentatif de la société et du monde. Ces numina se seraient peu à peu différenciés et personnifiés pour donner naissance au panthéon romain. Cette thèse n’est guère défendable. D’une part, numen n’est jamais employé absolument, mais toujours en rapport avec l’action d’un dieu: on parle du numen de Jupiter ou de Junon, à la rigueur du numen divin en général. Le mot apparaît dans son usage comme notant un attribut déterminant de tout personnage divin. D’autre part, les documents les plus archaïques sur la religion romaine permettent de distinguer, déjà à très haute époque, un panthéon très élaboré et hérité d’un lointain passé indo-européen.ÉTYM. Fin XIXe; nume, n. m., XVIe (d'Urfé, Papon); mot lat. numen, numinis « puissance, volonté divine; divinité », étymologiquement « signe de tête indiquant une volonté ».❖1 Hist. relig. Dans la religion romaine, Puissance qui émane d'une divinité, manifestation empirique du pouvoir divin; divinité.1 (…) les forces secrètes, impersonnelles de chaque objet que les ethnologues désignent sous les noms de « mana » ou d'« orenda » ont pu, aux yeux des ancêtres des Latins, rendre compte du mouvant de l'univers. (…) dans la mentalité des temps historiques (…) un mystère innommé, vénérable, continue à envelopper la vie de la nature pour les plus religieux des poètes et des penseurs, Virgile, Sénèque (…) Mais il n'est ni déterminant ni ordonnateur.Il en est tout autrement de la notion de numen. C'est celle d'une « volonté » ou d'un « déclenchement du vouloir », à quoi se joint l'idée d'une force (vis) divine, mais sans évocation physique. Le mot, neutre, peut signifier efficacité partielle ou momentanée aussi bien que générale ou permanente; il peut s'employer au pluriel pour indiquer les différents potentiels d'une divinité plurivalente, Junon par exemple (Curritis, Lucina, Regina…) […] il peut désigner l'incompréhensible vertu réalisatrice d'un surhomme, comme Auguste…J. Bayet, Hist. politique et psychologique de la religion romaine, p. 108-109.2 (2e moitié XIXe, Baudelaire). Didact. Emphase qui confère à une représentation picturale la dimension épique ou tragique.2 Prédilection pour le mot de Baudelaire, cité plusieurs fois (notamment à propos du catch) : « la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ». Il appela cet excès de pose le numen (qui est le geste silencieux des dieux prononçant le destin humain). Le numen, c'est l'hystérie figée, éternisée, piégée, puisqu'enfin on la tient immobile, enchaînée sous un long regard. D'où mon intérêt pour les poses (à condition qu'elles soient encadrées), les peintures nobles, les tableaux pathétiques, les yeux levés au ciel, etc.R. Barthes, Roland Barthes, p. 138.
Encyclopédie Universelle. 2012.